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INTERNATIONAL

Déclaration politique du Sommet mondial de Doha : promesses et écueils


Alwihda Info | Par Olivier Noudjalbaye Dedingar, Expert-consultant international, humanitaire et journaliste indépendant. - 16 Novembre 2025


Trente ans après la première tentative de Copenhague de tracer une ligne claire à l'échelle mondiale, en matière de développement social, le monde est revenu à la conversation avec une urgence accrue et beaucoup moins de certitude.


Deuxième Sommet mondial pour le développement social. Photo : ONU
Deuxième Sommet mondial pour le développement social. Photo : ONU
Le deuxième Sommet mondial pour le développement social à Doha n'était pas qu'une simple commémoration d'un événement historique. Il reconnaissait que le monde est entré dans une ère plus complexe et inégalitaire, marquée par des tensions géopolitiques, des déséquilibres démographiques, la transformation numérique et l'érosion de la confiance du public.

La Déclaration politique de Doha, adoptée à la clôture du Sommet, vise à consolider cette ère. Elle expose les engagements que la communauté internationale s'est engagée à prendre en faveur des populations systématiquement laissées pour compte. Cependant, comme pour tout document final, la vérité ne réside pas dans le texte, mais dans sa mise en œuvre. Et c'est là que réside la principale tension de l'engagement de Doha : des promesses fortes, des voies d'action fragiles.

Un espoir renouvelé à Doha
Le ton de ce Sommet a été donné dès le départ. Dans son message de bienvenue, Son Altesse Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani a réaffirmé l’engagement de longue date du Qatar en faveur d’un développement centré sur l’humain. Il a positionné Doha comme un lieu et un partenaire essentiel pour écrire le prochain chapitre du progrès social mondial. Son message était clair : le développement social doit redevenir une mission partagée, soutenue par le multilatéralisme, guidée par la solidarité et ancrée dans la dignité humaine.

Cet esprit a imprégné les négociations elles-mêmes. Les délégués ont reconnu que les systèmes mondiaux d’éducation, de santé et de protection sociale se sont développés depuis 1995. Cependant, ils ont également averti que ces progrès sont aujourd’hui anéantis par les inégalités, les conflits et les chocs liés au changement climatique. Dans ce contexte, la Déclaration vise à établir de nouvelles bases pour l’action.

Les quatre piliers de l’engagement
La Déclaration politique de Doha est d’une grande portée, mais ses priorités sont bien définies. Ses engagements s’articulent autour de quatre thèmes qui caractérisent le paysage actuel du développement social.

1. L’éradication de la pauvreté comme effort structurel
Doha conçoit l’éradication de la pauvreté non comme une intervention caritative, mais comme la suppression des barrières systémiques. Les dirigeants s’engagent à s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté et des inégalités, en privilégiant les réformes structurelles, les investissements ciblés et un accès plus équitable aux marchés et aux technologies mondiaux. Il s’agit d’un changement significatif, notamment dans un monde où les chocs économiques et les pressions inflationnistes touchent de manière disproportionnée les plus pauvres.

2. Travail décent et emploi productif
Les délégués affirment que l'emploi ne se résume pas à un revenu. Il est synonyme de dignité, de stabilité et d'autonomisation. La Déclaration réaffirme la nécessité d'élargir l'accès au plein emploi productif, de renforcer la protection des travailleurs et d'accroître les perspectives offertes aux jeunes, de plus en plus confrontés à des marchés du travail informels ou précaires. Ce qui reste flou, c'est comment les pays concrétiseront cet engagement en créant de véritables emplois, notamment dans les économies confrontées à une faible croissance ou à des marges de manœuvre budgétaires limitées.

3. Inclusion sociale et protection sociale universelle
Les dirigeants mondiaux s'engagent à considérer la protection sociale comme un investissement, et non comme une charge budgétaire. Cela implique des filets de sécurité sociale plus robustes, des systèmes sensibles au genre, un soutien aux personnes handicapées et des cadres politiques garantissant qu'aucune communauté ne soit exclue. Le message est fort. Mais la question du financement est incontournable. Étendre la protection sociale exige des ressources durables et prévisibles, ce dont de nombreux pays en développement ne disposent pas encore.

4. Accès numérique et défi de la désinformation
Doha reconnaît d'emblée la nouvelle frontière sociale que représente la transformation numérique. La Déclaration appelle à agir pour développer la culture numérique, démocratiser l'accès aux technologies numériques et lutter contre la propagation de la désinformation et des discours de haine. Elle reconnaît également que la fracture numérique n'est plus une préoccupation marginale, mais un facteur déterminant de la compétitivité économique et de la cohésion sociale. Il s'agit là de l'une des sections les plus tournées vers l'avenir de la Déclaration, reflétant les changements rapides survenus depuis 1995. Cependant, réduire la fracture numérique mondiale exige bien plus qu'une simple prise de position. Cela nécessite des investissements, des infrastructures, des compétences et une coopération réglementaire qui dépassent largement le cadre du Sommet.

La Déclaration de Doha s'étend également aux domaines où le développement social recoupe d'autres priorités mondiales. Il s'agit notamment de :
● Garantir la couverture sanitaire universelle;
● Investir dans une éducation de qualité à tous les niveaux, de la petite enfance à la formation continue;
● Renforcer la résilience des systèmes alimentaires et réduire les pertes alimentaires;
● Lutter contre les impacts du changement climatique qui affectent de manière disproportionnée les populations vulnérables, ● Parvenir à l'égalité des sexes et autonomiser les femmes et les filles;
● Soutenir les populations vieillissantes et les pays connaissant une croissance démographique rapide des jeunes;
● Repenser les indicateurs de progrès au-delà du PIB;
● S'engager de manière constructive dans la coopération fiscale internationale.
Ensemble, ces éléments constituent une vision globale de ce que signifie bâtir des sociétés inclusives dans un monde où les crises ne surviennent jamais isolément.

Le paradoxe de la mise en œuvre
La crédibilité de la Déclaration de Doha repose entièrement sur la capacité de la communauté internationale à concrétiser ses promesses. C’est là que le débat se complique.

1. Financer l’ambition
La Déclaration encourage les pays à explorer des sources de financement publiques et privées supplémentaires, mais souligne un point crucial : le financement privé ne doit pas se substituer aux engagements existants. Il s’agit de la reconnaissance d’une préoccupation de longue date dans le domaine du développement, où la dépendance aux capitaux privés conduit souvent à un financement imprévisible, et à une répartition inégale des risques. De nombreux pays présents au Sommet ont réaffirmé qu’un développement social significatif exige une réforme de l’architecture financière internationale, des financements plus concessionnels et une représentation plus équitable des pays en développement. Sans cela, les engagements de Doha risquent de rester lettre morte, plutôt que de se concrétiser.

2. Responsabilisation et suivi
Les dirigeants ont convenu que les engagements feront l'objet d'un processus de suivi quinquennal, débutant en 2031, qui comprendra une séance plénière de haut niveau à l'Assemblée générale des Nations-Unies. L'objectif est de renforcer la responsabilisation. Cependant, des questions demeurent :
1. Quels indicateurs seront utilisés ?
2. Comment les progrès seront-ils mesurés dans des domaines autres que le PIB ?
3. Comment les pays seront-ils tenus responsables de leurs retards ?
4. Quel rôle la société civile jouera-t-elle dans le suivi ?
5. Et, point peut-être le plus important, comment le système mondial garantira-t-il la transparence dans un contexte politique où la confiance dans les institutions est en déclin ?

3.Le défi de l'intégration
La Déclaration appelle à une approche pangouvernementale et sociétale. Ce n'est pas chose facile. Cela exige des gouvernements qu'ils harmonisent leurs ministères, rationalisent leurs systèmes de données, se coordonnent avec les acteurs non étatiques et veillent à ce que les communautés marginalisées soient entendues lors de l'élaboration et de l'examen des politiques. Doha donne le cap. Elle n'en définit pas encore l'architecture.

4. Volonté politique
Dans son discours de clôture, la Secrétaire générale adjointe Amina Mohammed a résumé l’état d’esprit général avec concision : les citoyens attendent des résultats. Ils attendent des actions concrètes, et non de vaines déclarations. Doha a ouvert une brèche. Toutefois, la franchir exige du courage politique, une pression intérieure et une coopération internationale qui s’essoufflent souvent une fois l’attention médiatique retombée.

Partenariats en action : Qatar Charity et l’OIM
L’un des exemples concrets de cette mise en œuvre est le mémorandum d’entente signé entre Qatar Charity et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ce mémorandum porte sur l’aide humanitaire, la protection des migrants et des personnes déplacées internes, la réponse aux situations d’urgence et l’intégration des principes de protection dans les initiatives de développement. Ce partenariat illustre l’importance accordée, dans la Déclaration, au soutien des populations vulnérables par le biais d’une action concertée et multipartite. Il rappelle également que des progrès significatifs s’amorcent souvent par des partenariats bilatéraux ou institutionnels qui se développent au fil du temps.

Organismes régionaux et perspectives d'avenir
Les commissions économiques régionales des Nations-Unies ont déjà manifesté leur engagement à agir comme partenaires de mise en œuvre. Qu'il s'agisse de soutenir les politiques relatives au vieillissement de la population et les transitions énergétiques justes en Europe ou de promouvoir l'emploi des jeunes et l'entrepreneuriat en Afrique, les organismes régionaux joueront un rôle crucial pour que la Déclaration passe des principes mondiaux aux réalités locales.

Leur implication est essentielle. Le développement social ne se réalise pas autour de la table des assemblées plénières. Il se construit dans les écoles, les dispensaires, sur le marché du travail et au sein des communautés. C'est une initiative locale portée par la coopération internationale.

Un fondement, pas une ligne d'arrivée
La Déclaration politique de Doha est ambitieuse, fondée sur des principes et opportune. Elle reconnaît que le monde ne peut bâtir la paix, la prospérité ni la durabilité sans s'attaquer à la pauvreté, aux inégalités, à l'exclusion et à la fracture numérique. Elle replace le développement social au cœur du débat mondial. Elle offre une vision où la dignité humaine n'est pas une aspiration, mais une garantie.

Cependant, elle met également en lumière les points faibles du système mondial : déficits de financement, faiblesses des structures de responsabilisation, incertitudes quant aux processus de suivi, complexité politique des réformes nationales et fossé grandissant entre les promesses internationales et la réalité.

Doha a posé les fondements sur lesquels le monde peut s'appuyer. Reste à savoir si elle constituera un tournant décisif ou une nouvelle occasion manquée ; cela dépendra de ce qui se passera bien après la fin du Sommet. Le monde a pris ses engagements. La véritable question est maintenant de savoir s'il saura affronter ses écueils avec la même lucidité et la même conviction.

Pour que la Déclaration ait un impact concret, elle doit se concrétiser. Elle doit se traduire par des salles de classe, des dispensaires, des emplois, des protections et des parcours numériques qui améliorent véritablement le quotidien des populations. La prochaine décennie révélera si le monde est prêt à concrétiser les engagements qu'il vient de proclamer.

Les dirigeants mondiaux adoptent la déclaration de Doha pour dynamiser les efforts en matière de développement social. Photo : ONU
Les dirigeants mondiaux adoptent la déclaration de Doha pour dynamiser les efforts en matière de développement social. Photo : ONU

Le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, s'exprime à Doha (Qatar) le 4 novembre 2025, lors du deuxième Sommet mondial pour le développement social. Photo : Ibraheem Abu Mustafa/Reuters
Le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, s'exprime à Doha (Qatar) le 4 novembre 2025, lors du deuxième Sommet mondial pour le développement social. Photo : Ibraheem Abu Mustafa/Reuters



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